Maurice est un ancien qui vit près de chez moi. Il a travaillé à Javel au moment du lancement de la DS. Ce petit entretien relate quelques tranches de vie la-bas.
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Citrowagon: Bonjour Maurice, en quelle année êtes vous rentré chez Citroën ?
Maurice: Après 3 ans comme sellier garnisseur, boulevard de l’hôpital à Paris, je suis rentré chez Citroën en 1947 et je suis parti en retraite en 1984. D’ailleurs avant mon entrée chez Citroën, on faisait des cars d'excursion pour Citroën. Un jour je lisais un journal, Citroën cherchait des selliers, je me suis présenté rue Ballard! La rue Ballard, c'était la rue des ouvriers! Car les techniciens et ingénieurs rentraient par le quai de Javel (rires).
Citrowagon: donc vous avez commencé à travailler sur les tractions, vous n'avez pas entendu parler à ce moment là d'une nouvelle ds ? (nous sommes en 47)
Maurice: non
Ça sonne, c'est Claude qui vient me dire bonjour, en voisin. Ça lui fait plaisir de retrouver son camarade de Javel. La discussion continue, avec mes 2 acolytes.
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Maurice: ah! je ne me rappelle pas de toi....
Claude: moi je me rappelle bien de toi! C'est toi qui me cassait les grilles d'ascenseur que je réparais sans arrêts! (L'usine de Javel comporte plusieurs étages équipés d'énormes ascenseurs industriels).
Maurice: quand j'ai commencé à la sellerie à Javel, cela ne correspondait pas du tout à ce que j'avais appris. C'est le père Ducreux qui m'avait fait passer les tests d'entrée. Les sièges arrivaient déjà préfabriqués, provenant d'un sous-traitant, il n'y avait plus qu'à mettre le crin et les housses! Ma formation était plutôt orienté vers la sellerie hippomobile! Mais les copains de l'atelier m'ont très vite appris les tours de main nécessaires à la réalisation des sièges. j'ai donc été embauché au niveau OS 1, ouvrier spécialisé niveau 1, c'est le grade le plus bas de chez Citroën. Je ne fabriquais que des sièges, les panneaux de portes étaient faits par d'autres collègues...
Claude: c'était au dessus de la deuxième finition....
Maurice: oui, à côté de la première finition. Et puis j'ai continué mon petit bonhomme de chemin, tout le monde a appris à me connaitre....avec mon sale caractère!

Citrowagon: à peu près à quel moment avez vous entendu parler d'un projet de nouvelle Citroën ?
Maurice: en 1950 j'ai commencé à en entendre parler. Un jour on me convoque, on me dit que je vais bosser au "bocal"...
Claude: le bocal "secret"...RIRES....j'y suis rentré parce que je m'occupais de l'entretien, j'avais mes entrées partout, et attend, c'est qu'il y avait les gardiens! Et le chef des gardiens...
Maurice: un vrai con! RIRES
Claude: C'était un vrai con, mais c'était un copain à moi. Et c'est là que j'ai vu l'engin là ( un prototype DS) avant tout le monde!
Rire général, l'ambiance est joyeuse, j'essaye de cadrer la discussion avec mes 2 adolescents de plus de 80 ans.....
Maurice: Au bocal, je faisais des séries de sièges pour la nouvelle DS. Ils n'avaient pas besoin de moi à 100%, quand ils n'avaient pas besoin de moi, mon contremaitre me récupérait à l'atelier (la sellerie). En général, je restais 15 jours, 3 semaines au bocal.
Citrowagon: les sièges de DS sont différents par rapport à ceux des tractions. Il y a une armature avec de la mousse...
Maurice: oui, mais ça ne m'a pas étonné. Ils étaient beaucoup plus rapide à confectionner.
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Citrowagon: avez vous vu vos sièges dans les prototypes de DS ?
Maurice: il n'y en avait pas beaucoup; 2 ou 3 maximum (des DS). Il y avait des sièges dedans et d'autres qui trainaient à coté. Il y avait aussi des DS au sous-sol, elle étaient sous des bâches, avec interdiction de toucher le toit!
Citrowagon: avez vous vu des personnes tels que Bertoni, Mages, Lefebvre ?
Maurice et Claude: non, mais on voyait tous les jours Bercot (le PDG de Citroën) qui passait par là!
Maurice: un jour je me suis engueulé avec mon contremaitre, j'ai été muté sur la chaine des tractions. On avait 4 ou 5 semences dans la bouche et tac tac tac on clouait vite fait les tissus il suffisait d'un coup de coude et hop, on avalait des semences! (les tractions avaient des cadres en bois pour y clouer, avec des clous nommés "semence", des tentures. Claude me rappelle alors qu'à proximité il y avait un atelier d'ébénisterie).
Maurice: un jour Bercot passe par là et me voit sur la chaine. Je me montre un peu plus, histoire de lui montrer que je suis là, il s'arrête et me dit "vous n'étiez pas au bocal vous? je lui dis si- pourquoi vous êtes là ? - je suis en punition, mon contremaitre m'a mis là parce que je lui ai tenu tête! venez avec moi, prenez votre boite (à outils)." Et à ce moment là, je suis retourné au bocal.
Citrowagon: nous somme en septembre 1955...
Maurice: Après les vacances, on m'a proposé d'aller bosser au grand palais pendant 3 semaines pour le salon de l'auto, je m'en souviens bien parce que c'est à ce moment là que j'allais me marier. j'étais content, mais on commençait tous les matins à 6h30, c'était pas les 35 heures! (rires), mon boulot c'était de m'occuper de la propreté et de l'entretien. Je suis arrivé au grand palais la veille du jour de l'ouverture. Les DS étaient déjà là, sous bâches.  Le stand Citroën était tout à fait à l'opposé de l'entrée, je me rappelle qu'il y avait à l'entrée le stand Michelin, avec son bibendom géant qui bougeait. J'avais fait la connaissance des flics qui étaient là 24 heures sur 24 pour garder le stand! Je me souviens aussi quand les portes se sont ouvertes, toute la foule est partie à fond de train se ruer sur notre stand! C'était la cohue!
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Citro-wagon: je montre à Maurice toutes les photos en ma possession du ce fameux salon, mais hélas, on ne le voit pas.
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Maurice: après le salon, on m'a muté au traitement des aciers, à Gutenberg, St Charles, après être passé à "l'école" à Levalois. Mon premier poste était à "Leblanc" un atelier de Javel. C'était en fait une tréfilerie, qui fabriquait les vis, les écrous, les ressorts, etc... Dans l'atelier il y avait un immense four à gaz, c'était le four "MTM", pour la confection des faisceaux hydrauliques. Il fallait allumer ce four, j'ai remplacé le gars qui a été brulé en allumant ce four. Vers 3 heures du matin je devais l'allumer pour que le four soit chaud à 6 heures. Le problème, c'est qu'on ne m'a dit comment l'allumer! Dans l'atelier, il n'y avait que des arabes, et des noirs, pas un français! Il n'y avait que moi, le chef! Je me suis attaché une corde à la taille, et j'ai dit à 2 gars de tirer vite sur la corde si ça se passait mal. Il y a un gars qui m'a allumé la torche, un autre qui a ouvert le gaz, et je mets le feu! Ça s'est bien passé, mieux que le gars avant moi. (rires) Ensuite je suis allé à Levallois, St Charles, et je suis revenu à Javel en passant chef d'équipe, j'ai retrouvé mes anciens copains à la sellerie. Et en 61 j'ai été muté à Rennes, ils ouvraient l'usine de la Janais.
Citrowagon: revenons à Javel, fin 55, quel était l'état d'esprit à l'usine lors du lancement sur chaine de la DS ?
Maurice: c'était pas facile, il y avait les "retouches", des montagnes de retouches!
Claude: rien ne marchait, ils ont lancé ça trop vite, j'avais des copains qui étaient envoyé dans toute la France pour réparer les DS, les mécanos du coin étaient complètement paumés avec cette bagnole!
Maurice: on en a même envoyé aux états unis! On bossait même le samedi matin. Je me souviens aussi, j'étais dans le hall de livraison, pour une bricole, et tout le monde était mobilisé. En sortie de chaine était livré la future DS de Bercot. Une autre fois, elle était tombé en panne, ça a fait un scandale terrible! ......
Merci Maurice
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Il faut préciser que Maurice n'a jamais été mécanicien, ça ne l'intéressait pas. Mais ce petit reportage montre un peu l'état d'esprit qui régnait à Javel au moment de la sortie de la DS.
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Je remercie encore Maurice qui m'a prêté plusieurs publications sur la DS, dont un livre très intéressant, non vendu dans le commerce, "les hommes de la DS". Ce livre de très mauvaise qualité d'impression, est sorti à l'occasion du cinquantenaire de la DS par l'association des cadres retraités PSA Peugeot-Citroën. Il est en cours de scannage, je vous en publierai les meilleurs morceaux.